L’ACÉUM à l’heure du coronavirus

Gilles Vandal est professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Gilles Vandal s’est exprimé dans le journal La Tribune concernant le traité de l’ACÉUM (ex-Aléna) qui devait entrer en vigueur le 1er juillet mais les États-Unis n’ont pas envoyé l’avis officiel de ratification qui aurait dû l’être avant le 30 avril.

Chronique / Le nouvel accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACÉUM) a été ratifié par le parlement de chacun de ces pays. Toutefois, cet accord ne peut devenir contraignant que 60 jours après l’échange d’avis officiels de ratification par les trois gouvernements. Or, si le Canada et le Mexique ont déjà envoyé cet avis, les États-Unis tardent à le faire. Pour que l’accord entre en vigueur le 1er juillet, il fallait que Washington envoie un avis officiel avant le 30 avril.

L’attitude de Washington dans ce dossier est déroutante. La mise en place de cet accord s’inscrivait dans la stratégie de l’administration Trump pour assurer sa réélection. Plus tôt dans l’année, Washington incitait le Canada et le Mexique à procéder rapidement, affirmant alors que l’administration Trump désirait que l’accord entre en vigueur dès le 1er juin. Maintenant, cette même administration hésite.

Cette hésitation a d’ailleurs amené un groupe bipartisan de 19 sénateurs américains à demander à l’administration de reporter la date de l’entrée en vigueur du nouvel accord commercial avec le Canada et le Mexique (ACÉUM). Ce groupe soutient que la présente pandémie désavantage les entreprises américaines. Selon ce groupe de sénateurs, celles-ci ont besoin de plus de temps pour s’adapter aux nouvelles règles régissant l’ACÉUM et s’assurer que le Canada et le Mexique respectent pleinement leurs engagements. Selon les dires des sénateurs, cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’industrie automobile.

Les entreprises canadiennes pressaient le Canada de ratifier le nouvel accord afin de mettre fin aux années d’incertitude qui ont accompagné l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Les chaînes d’approvisionnement allaient pouvoir ainsi retourner à la normale. Les autorités canadiennes croyaient qu’avec le nouvel accord, les échanges commerciaux avec les États-Unis deviendraient plus sûrs et que cela signifierait plus de travail pour les entreprises canadiennes.

Mais c’était avant l’éclosion de la pandémie du coronavirus. Une nouvelle dynamique est apparue depuis. La frontière canado-américaine est devenue sous pression comme jamais en 40 ans. Depuis deux décennies, soit depuis le 11 septembre 2001, les autorités canadiennes se sont toujours battues pour garder la frontière canado-américaine la plus ouverte possible. Aussi, voir des pressions provenant même de l’intérieur du Canada pour restreindre la libre circulation des personnes et des marchandises à la frontière aurait semblé étrange jusqu’à tout récemment.

Pourtant, il n’a fallu qu’une journée pour effectuer un tel virage. En moins de 24 heures, Ottawa et Washington en sont arrivés à un accord extraordinaire visant à limiter les passages de la frontière. Il fallait avant tout protéger la population canadienne contre la propagation du coronavirus. Cela fait contraste avec les trois années de négociations nécessaires pour arriver à l’ACÉUM.

En effet, l’impensable est devenu réalité en mars dernier. Ottawa s’est entendu avec Washington pour restreindre drastiquement la circulation à la frontière, et ce moins de cinq semaines à peine après avoir adopté le nouvel accord commercial. Les déplacements non essentiels entre les deux pays ont été suspendus. La crise du coronavirus révèle que l’ACÉUM comporte plusieurs failles désavantageant le Canada.

D’ailleurs, on craint que le coronavirus incite les deux pays à adopter une approche plus protectionniste. Cela est apparu évident à Washington, alors que l’administration Trump a menacé de fermer unilatéralement la frontière, d’y poster des miliaires et finalement d’empêcher la compagnie 3M d’exporter des masques médicaux au Canada. En faisant des pressions aux bons endroits, Ottawa a été capable d’amener Washington à changer d’avis. Néanmoins, cette crise a poussé les autorités canadiennes à vouloir être plus autonomes.

La pandémie du coronavirus a mis en évidence les lacunes de la mondialisation et d’un libre-échange tous azimuts. Confrontées à un virus mettant en danger la vie de milliers de personnes, les autorités canadiennes, comme celles des autres pays dans le monde, découvrent les vertus du protectionnisme, si ce n’est que pour la production de matériel médical comme les blouses, les gants, les masques, les ventilateurs et les médicaments.

La présente crise qui a conduit à la fermeture des usines et aux restrictions commerciales a démontré la dépendance économique du Canada envers l’étranger. Elle a mis en lumière, en ce qui concerne la fabrication de matériel médical, la nécessité d’avoir une position nationaliste et protectionniste basée sur la sécurité nationale. À court de ventilateurs et de masques N95, Ottawa, Toronto et Québec ont dû demander à différentes compagnies canadiennes de répondre d’urgence à la demande.

La politique du libre-échange reposait sur le droit des compagnies d’acheter et de vendre sans aucun obstacle des deux côtés de la frontière. La production se déplaçait ainsi, là où il était possible de produire plus à moindre coût. Cela signifie un haut niveau d’intégration économique dans les industries en Amérique du Nord. Or, avec le coronavirus, nous assistons à un repli stratégique partout dans le monde. Ce repli repose sur un nationalisme économique allant à l’encontre de la mondialisation et du libre-échange.

Lorsque la présente crise sera terminée, il sera impossible de retourner complètement à une politique de mondialisation et de libre-échange comme celle qui prévalait avant 2020. L’ACÉUM pourra être finalement mis en place, mais cela demandera d’importants ajustements ne provenant pas seulement des États-Unis. Pour ce qui est du Canada, il est essentiel de protéger toutes les industries liées au secteur de la santé et de définir cette exigence comme une politique de sécurité nationale.

Gilles Vandal est professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

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