L’automatisation devrait créer deux fois plus d’emplois qu’elle n’en détruit, mais il y a un gros « hic »

L’automatisation devrait créer deux fois plus d’emplois qu’elle n’en détruit, mais il y a un gros « hic »

D’ici 2022, les entreprises prévoient une révolution du travail portée par l’intelligence artificielle. Mais son impact dépendra de nos actions.

ÉCONOMIE – Voilà des années qu’économistes et hommes politiques débattent d’une question cruciale: l’automatisation en cours, la « 4e révolution industrielle », va-t-elle créer ou détruire de l’emploi? En clair, les robots et algorithmes vont-ils voler votre boulot?

Dans un rapport publié ce lundi 17 septembre, le Forum économique mondial (WEF) estime que d’ici 2022, les nouvelles technologies vont créer plus d’emplois qu’en détruire. 58 millions de plus, selon les projections de la Fondation, qui se réunit tous les ans à Davos.

Ne sortez pas le champagne tout de suite. Car il y a un gros « hic » dans tout cela. Pour le comprendre, il faut regarder en détail ce que dit ce rapport et ce que l’automatisation de la société implique. C’est le WEF qui le dit, dès l’introduction du rapport: ces transformations, « si mal gérées, posent le risque d’accroître les écarts de compétence, d’augmenter l’inégalité et d’élargir la polarisation ».

Pour élaborer ce document, le WEF a interrogé les dirigeants de nombreuses sociétés de tous les secteurs, représentant quelque 15 millions de salariés dans le monde. En analysant les réponses, les chercheurs du WEF ont réaliser des projections sur les années à venir, d’ici à 2022.

Une « destruction créatrice »…

Ainsi, c’est avant tout l’intelligence artificielle, l’internet mobile, l’analyse des données (big data) et le stockage d’information en ligne (cloud) qui vont entraîner les plus gros changements, même si l’adoption massive de robots physiques intéresse plus d’un quart des sociétés.

Ces nouvelles technologies impliquent une automatisation de certaines tâches effectuées actuellement par des humains. Et donc, des suppressions de postes. Y compris, dans une moindre mesure, pour des domaines jusque là non-touchés, comme la communication, le management ou la prise de décision.

Au global, en extrapolant les réponses des sondés, le rapport estime que 75 millions d’emplois risquent d’être supprimés d’ici 2022. Mais cette automatisation devrait également entraîner la création de nouveaux postes, adaptés à cette automatisation: 133 millions, toujours selon ces projections.

58 millions d’emplois seraient donc créés d’ici 2022 grâce à cette 4e révolution industrielle. C’est le principe de destruction créatrice de l’économiste Joseph Schumpeter: l’automatisation demande de nouvelles compétences.

On l’a vu par le passé. Un rapport du cabinet Deloitte de 2015 expliquait qu’en 140 ans, la chute du nombre de travailleurs dans l’agriculture et la manutention « a été plus que compensée par la croissance rapide des services à la personne, de la créativité, de la technologie et des affaires ».

… créatrice d’inégalités

Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles? Ce n’est pas si simple. Car les postes créés par l’automatisation ne siéront par spécialement aux employés donc les postes auront été supprimés. Il n’y a qu’à voir la liste des emplois les plus demandés de demain, selon le rapport: analyste de données, développeur d’applications, manager de l’innovation, spécialiste de l’intelligence artificielle ou de la blockchain, ingénieur roboticien…

D’ici 2022, « pas moins de 54% des employés auront besoin d’une requalification de leur compétence ». Sauf que la majorité des entreprises interrogées expliquent qu’elles vont avant tout proposer des formations à leurs employés dans des rôles clés et de premiers plans. « En d’autres termes, ceux qui auront le plus besoin de formation et de requalification sont les moins susceptibles d’en recevoir », affirme le rapport.

84% des employeurs interrogés vont « certainement » engager de nouvelles personnes disposant des compétences nécessaires pour ces emplois de demain et 81% vont chercher à automatiser le travail. Par contre, « près d’un quart des sociétés sont indécises ou considèrent comme improbable de chercher à recycler les salariés existants ».

En parallèle, près des deux tiers des employeurs se préparent à externaliser certains besoins et à utiliser des travailleurs flexibles, via des contrats temporaires. D’ailleurs, 50% des entreprises pensent que l’automatisation va entraîner une réduction des employés en temps-plein d’ici 2022. « Beaucoup de répondants ont mis en avant leur intention d’embaucher des travailleurs d’une manière plus flexible ».

La balle est dans le camp des gouvernements

A noter que la France n’est pas très bien lotie dans cette histoire. Sur les 30 pays étudiés, c’est celui où les employés auront le plus besoin de requalification pour s’adapter à la 4e révolution industrielle. Les patrons estiment qu’il faudra 105 jours par personne de formation, contre 83 en Suisse.

Ce rapport du WEF est loin d’être le premier à pointer le risque non pas d’une destruction d’emplois nette, mais d’une réorganisation créatrice d’inégalité et de polarisation. Ainsi, l’écrivain Scott Santens imaginait en 2015 un monde où une minorité de travailleurs trouverait des emplois très qualifiés, mais où la majorité, la classe moyenne, allait se retrouver avec des emplois peu qualifiés et peu rémunérés.

DAVID AUTOR

Et de citer ce graphique, provenant des travaux de l’économiste David Autor (plutôt optimiste, lui). Les lignes correspondent aux quatre dernières décennies. Les points placés en dessous de la ligne horizontale rouge indiquent qu’il y a eu une diminution du nombre d’emplois. Dès qu’une des courbes passe au dessus de cette ligne rouge, il y a eu une création d’emploi. Plus les points sont placés à gauche, plus ce sont des emplois non qualifiés. A l’inverse, plus ils sont à droite, plus ils représentent les emplois qualifiés.

On peut objecter qu’à terme, les choses vont s’équilibrer. Que les écoles vont s’adapter, que les jeunes seront formés, que de nouveaux métiers seront créés. Reste à savoir quand et ce qu’il se passera d’ici là. En juillet, Carl Frey, un économiste spécialiste de la question de la robotisation, a publié une étude analysant le rapport entre automatisation et préférence de vote aux Etats-Unis.

Il a découvert un lien clair entre l’augmentation du nombre de robots industriels dans certains Etats américains et l’augmentation du vote en faveur de Donald Trump. Et un autre entre la première révolution industrielle et ce que nous vivons aujourd’hui, notamment en termes de rapport entre salaire, emploi et automatisation (plus d’informations sur cette étude ici).

Et de rappeler qu’à l’époque, une forme d’opposition aux machines avait émergé. Les luddistes, des tondeurs et tricoteurs, avaient tenté de détruire les révolutionnaires métiers à tisser mécaniques, accusés de mettre au chômage les artisans. Mais sans arriver à enrayer la mécanisation. Mais aujourd’hui, les citoyens laissés sur la touche de l’automatisation ont d’autres moyens d’actions que les ouvriers britanniques du XIXe siècle. « La révolution industrielle britannique aurait-elle pu avoir lieu si le travailleur ordinaire pouvait voter? », interrogent les auteurs. Bref, une crainte à peine voilée d’une explosion du populisme poussée par l’automatisation.

Et les solutions proposées par les auteurs de l’étude et par le rapport du Forum économique mondial sont en réalité assez similaires. Carl Frey estime en conclusion que les gouvernements doivent « trouver les moyens de partager plus équitablement les bénéfices de l’automatisation ». Le rapport conclut, lui, que ces mêmes gouvernements doivent « jouer un rôle fondamental pour aider ceux déplacés à se former à de nouvelles compétences et à investir massivement » dans l’éducation et les systèmes de formations.

source: Par Gregory Rozieres  HuffPost 

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