DOSSIER USINE 4.0 Il y a d’abord eu la mécanisation, lorsque la machine à vapeur a révolutionné la production industrielle. Puis, les chaînes de montage ont entraîné la production de masse, avant l’arrivée récente de l’automatisation. Bienvenue aujourd’hui dans l’industrie 4.0, là où les technologies numériques rendent l’usine de plus en plus intelligente. Cependant, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
Bien que près de 40 % des PME canadiennes du secteur de la fabrication auraient mis en oeuvre des projets 4.0, seulement 3 % ont entièrement numérisé leur production.
Yves Proteau, coprésident d’APN, une entreprise de Québec spécialisée dans l’usinage de pièces aéronautiques, était récemment en Californie pour visiter son usine américaine de fabrication d’outils de coupe et de pièces de précision. Ça ne l’a pas empêché d’avoir aussi à l’oeil ses installations dans le Parc technologique.
«Avec l’intégration des technologies numériques, je peux tout gérer à distance», souligne le gestionnaire, qui a joint en 2004 l’entreprise familiale créée par son père en 1970. Celui-ci avait remis le flambeau à son autre fils, Jean, en 1998.
Aujourd’hui, APN pousse encore plus loin son virage 4.0 amorcé au début des années 2010 par la mise en place d’un projet CIM (computer-integrated manufacturing). Au cours des cinq prochaines années, la PME prévoit en effet injecter 8 millions de dollars dans l’implantation de procédés industriels de génération 4.0 et ainsi ajouter une couche d’intelligence artificielle dans son usine. L’argent servira principalement à l’automatisation accrue de certaines décisions de production, de même qu’à l’achat de robots collaboratifs (cobots) qui peuvent facilement être programmés et interagir avec les humains.
«Nous allons pouvoir faire de la planification dynamique, ce qui permettra à nos systèmes de production de se réajuster en temps réel sans intervention humaine», dit M. Proteau. Il précise qu’il est actuellement impossible de gérer la totalité des données de production intelligentes colligées par les divers systèmes de technologies numériques et d’automatisation mis en place par l’entreprise au cours des dernières années.
Des commandes en ligne
Optimum Canada est aussi en mode 4.0. L’entreprise de Mercier, en Montérégie, qui fabrique également des outils de coupe pour l’industrie aéronautique, vient tout juste de concevoir une plateforme de commandes en ligne reliée à son progiciel de gestion (ERP).
«L’objectif est de mieux servir nos distributeurs, qui sont en lien avec les clients. Ils ont maintenant accès à un portail qui leur permet de connaître notre inventaire en temps réel. Ils n’ont plus besoin d’appeler, d’envoyer des télécopies ou des courriels pour commander des articles ou connaître l’état des commandes», précise Vincent Lemoine, directeur général d’Optimum Canada.
Un changement d’autant plus important que la PME souhaite accroître son réseau de distributeurs. Jusqu’à maintenant, elle devait affecter un employé à temps plein à la gestion de chacun de ses distributeurs. «Je ne veux pas avoir à embaucher 10 personnes pour s’occuper de 10 nouveaux distributeurs», souligne M. Lemoine.
Optimum Canada, qui compte des entreprises comme Bombardier, Pratt & Whitney et d’importants fournisseurs de l’industrie aéronautique parmi sa clientèle, est aussi en voie d’implanter un système de gestion automatisée de la performance. À l’aide d’une application mobile, le superviseur pourra effectuer une tournée de l’usine et transmettre l’état de fonctionnement des équipements de production et les données du système ERP. Ces diverses informations seront affichées sur un tableau de bord.
«Actuellement, si nos équipements roulent seulement à 75 %, je ne peux pas connaître en temps réel les causes des problèmes. À l’avenir, on pourra le savoir immédiatement et apporter rapidement les correctifs», dit M. Lemoine.
La prochaine étape de son virage 4.0 passe par une plus grande automatisation de la production. L’entreprise vient d’acquérir un équipement d’inspection automatisée qui permet d’analyser avec une meilleure précision une trentaine d’angles et de mesures. Elle prévoit aussi faire l’achat de huit robots d’ici cinq ans.
«La gestion automatisée des commandes devrait nous apporter plus de clients, et il faut automatiser davantage pour augmenter notre capacité de production. Sinon, tôt ou tard, on pourrait perdre des ventes», juge le dirigeant.
Retard à combler
Les entreprises qui ont entamé le virage 4.0 disent avoir accru leur productivité de 60 %, réduit leurs coûts d’exploitation de 50 % et amélioré la qualité globale de leurs produits de 42 %, indique une étude publiée à l’automne 2015 par le Boston Consulting Group, une firme-conseil en gestion qui a des bureaux à Montréal. Elles sont même presque deux fois plus susceptibles d’avoir une croissance annuelle de leurs revenus de 10 % ou plus au cours des trois prochaines années, par rapport aux entreprises qui n’ont pas adopté ces technologies numériques permettant une communication continue et instantanée entre les équipements et les systèmes de gestion.
Les usines 4.0 ne sont pas encore légion. Bien que près de 40 % des PME canadiennes du secteur de la fabrication aient mis en oeuvre des projets de ce type, signale une récente enquête de la Banque de développement du Canada (BDC), seulement 3 % d’entre elles ont entièrement numérisé leur production, et 17 % en sont à l’étape de la planification.
«On peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide mais, dans les faits, très peu d’entreprises ont atteint une maturité numérique suffisante. Oui, elles ont implanté des systèmes de gestion ERP, divers logiciels ou encore des robots ou des équipements à commande numérique. Cependant, soit ces technologies ne sont pas connectées, soit elles ne sont pas encore maîtrisées de manière efficace», constate Gilles Charron, directeur au développement des affaires de Productique Québec, un centre de recherche collégial qui aide justement les entreprises à intégrer l’intelligence du numérique dans leur fabrication.
Dany Charest, conseiller manufacturier chez STIQ, fait écho à ces propos. «Rares sont les entreprises qui peuvent prétendre être entièrement 4.0, surtout parmi les PME manufacturières de moins de 100 employés, mais on voit que des morceaux du puzzle s’assemblent», note-t-il.
Source: DOSSIER LES AFFAIRES