Entreprises québécoises recherchent travailleurs étrangers qualifiés, parlant français, motivés à quitter leur patrie pour s’installer dans une région où la pénurie de main-d’œuvre nuit à la croissance économique.
Le Soleil-Jean-François Néron
Les représentants d’une soixantaine d’entreprises s’envoleront vers Tunis les 27 et 28 novembre et Paris les 1er et 2 décembre pour «dénicher les perles rares». Ils apportent dans leurs bagages 1019 offres d’emploi. Comme quoi le besoin est criant, ces entreprises sont prêtes à engager des frais entre 3000 $ et 10 000 $ pour chaque travailleur recruté.
«Ça a pris 24 heures et on avait déjà atteint le nombre maximal d’entreprises qu’on pouvait accueillir pour des questions logistiques, explique Marie-Josée Chouinard, directrice attraction de talents chez Québec international (QI). L’enjeu est important. Certaines restent dans la région seulement parce qu’elles réussissent à recruter à l’international. D’autres m’ont dit qu’elles auraient dû participer avant parce qu’elles avaient perdu des contrats», ajoute-t-elle.
Depuis 11 ans, QI multiplie les missions, notamment dans certains pays francophones comme la France et la Tunisie. Depuis deux à trois ans, l’organisme accélère même sa courbe de recrutement. «Lors des premières missions en 2008, nous avions recruté 150 travailleurs. L’an passé, ce chiffre atteignait 400 et on souhaite terminer 2018 avec 600 travailleurs étrangers», précise MmeChouinard. Parmi la quarantaine de missions accomplies depuis 11 ans, huit le sont cette année.
«J’étais très sceptique. C’était mon plan C. J’ai finalement été agréablement surpris par la qualité des candidats», lance Robert Dion, vice-président finances et administration chez Umano Medical à L’Islet, qui en sera à sa seconde mission. Celle du printemps a permis de recruter six travailleurs. Il souhaite retenir entre 4 et 10 candidatures parmi les 65 entrevues qu’il réalisera lors de la prochaine mission.
Les candidats sont présélectionnés avant l’arrivée des recruteurs. Et heureusement. À titre d’exemple, 17 000 candidats ont manifesté leur intérêt dans le cadre de la mission à Tunis. Québec international travaille en collaboration avec les organismes d’emploi des pays où se fait le recrutement. Par exemple, Pôle emploi en France, l’équivalent ici d’Emploi Québec.
«Human touch»
«Il n’y a rien comme le human touch», lance Marilou Bleau, responsable des ressources humaines pour Systematix, qui participe aux missions depuis 11 ans. «Quand tu as la personne devant toi, tu peux le mettre à l’aise. C’est plus facile de bien juger, surtout qu’on a seulement 15 ou 20 minutes», explique-t-elle. Sur la centaine d’entrevues au programme à Paris et Tunis, elle espère conclure une entente avec une vingtaine de candidats.
«C’est plus engageant pour le candidat de se rencontrer en personne. Ce n’est pas un salon de l’emploi. Je sais qui je rencontre et à quelle heure», renchérit Valérie Houde, directrice des ressources humaines pour le groupe Restos Plaisirs, qui en sera à sa première mission.
«Nous avons 28 postes ouverts. C’est une première d’en avoir autant à ce temps-ci de l’année, en cuisine comme en salle, indique-t-elle. Le milieu de la restauration souffre plus que jamais de la pénurie de main-d’œuvre, d’où le choix de tenter l’expérience. C’est un gros investissement, mais l’enjeu en vaut la peine. Le manque de main-d’œuvre affecte aussi les équipes en place. Les gens s’essoufflent», ajoute-t-elle.
Annick Battisti, directrice du recrutement Est du Canada pour Fujitsu est aussi participante de la première heure aux missions à l’international. «Ça fait partie intégrante de nos stratégies. Pour nous, c’est un investissement. Depuis 10 ans, on a recruté 120 personnes.» Des 140 entrevues prévues à Tunis et Paris, elle voudrait revenir avec 35 nouveaux travailleurs.
Des chiffres qui plaisent à Mme Chouinard, confirmant par le fait même la nécessité de déployer ces efforts. Surtout que Québec n’est pas nécessairement le premier choix de ville des travailleurs étrangers. «Disons les choses telles qu’elles sont. Les immigrants n’arrivent pas à Québec naturellement. Ils vont à Toronto et Montréal avant de venir ici. C’est pourquoi on croit énormément dans nos missions.»
QUAND TRAVAILLER EST UN PROJET DE VIE
Pour la majorité des personnes immigrantes, travailler au Québec est un projet de vie. Caroline Beaudet, coordonnatrice aux ressources humaines pour Umano Medical à L’Islet, se souvient de la réaction d’une candidate en apprenant qu’elle avait été acceptée. «Elle ne me répondait pas au téléphone. Elle pleurait tellement. Elle était contente parce qu’elle voulait sortir ses filles d’Algérie.» Contrairement à la pensée populaire, le profil type n’est pas exclusivement celui du célibataire dans la vingtaine. Les entreprises recherchent des gens avec un minimum de cinq ans d’expériences, ce qui situe souvent les candidats entre 30 et 40 ans. Quelque 60 % d’entre eux débarquent avec la famille. Depuis 2008, 2467 travailleurs qualifiés ont été recrutés par le biais de missions de recrutement et autres initiatives comme les missions virtuelles (uniquement via le Web). Cela représente plus de 6200 nouveaux arrivants dans la grande région de Québec, incluant conjoints et enfants.
LABEAUME FERA «UN BLITZ DANS LES VILLES AMIES»
En complément de la mission de Québec international, le maire de Québec participera du 22 novembre au 2 décembre à une tournée française pour faire la promotion des emplois disponibles dans la région. «Je suis accompagné d’entreprises et on va faire un blitz dans des villes amies», indique Régis Labeaume. À Rennes, Saint-Nazaire, Saint-Malo, Nantes et Paris, il y portera un seul message. «On va dire à tout le monde qu’on a plus de 15 000 jobs de disponibles. Venez vivre une expérience de travail à Québec», ajoute-t-il, précisant vouloir profiter du taux de chômage élevé en France. Le maire a fait de la pénurie d’emploi un des dossiers prioritaires auquel il veut s’attaquer. Lors de la plus récente campagne électorale, il avait même exhorté les partis politiques d’en faire plus pour faciliter l’arrivée d’immigrants économiques. «Si on ne prévoit pas l’avenir, la prospérité [actuelle] pourra avoir l’effet d’un mirage. Le manque dramatique de main-d’œuvre peut mettre en péril notre économie. C’est le plus gros problème de la région», avait-il déclaré.
source: Le Soleil Jean-François Néron